Troubles de voisinnage
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours admiré Edouard Baer. Certains diront que je m’emballe un peu vite et que mon admiration vire souvent à la folie pure, mais je n’y peux pas grand-chose, les élans du cœur ne se contrôlent pas. Cet homme-là à ceci d’unique qu’il est doté d’une personnalité atypique rendant chacune de ses apparitions mémorables tant elles sont drôles, toujours un bon mot pour séduire son public, qui comme moi, lui est inconditionnellement fidèle depuis de nombreuses années, son style lui appartient et il joue de ce dernier avec une aisance qui ne peut qu’être applaudie… C’est donc ce que je me suis empressé d’aller faire au théâtre Edouard VII début février…
Réduire cette pièce à son acteur masculin, aussi charismatique soit-il, serait une erreur puisque cette comédie écrite par Fabrice Roger-Lacan met en scène deux personnages de sexes opposés, de vies opposées, qui comme le veut la tradition, vont commencer par se détester cordialement, en bon voisins qu’ils sont. Car en effet tout commence ainsi, mais non sans surprise car lorsque je prends place, la scène est vierge de tout décor, rideaux déjà tirés, et les acteurs débarquent sans que l’on s’y attende. Ils commencent leurs tirades, chacun leur tour, nous permettant de comprendre immédiatement leur sort commun, la solitude. Dès lors, le décor entre en scène, avec une fluidité millimétrée et vient alors séparer nos deux protagonistes, chacun derrière leur porte respective. Coté cour, Baer campe un personnage simplet et fier de son implication dans l’industrie du produit laitier, un cadre dont le public aimera se moquer tant ses centres d’intérêts paraissent ridicules face à ceux de sa voisine de palier…Car côté jardin, c’est Emmanuelle Devos que l’on retrouve, on l’imagine au milieu d’un appartement cossu, dans lequel elle reçoit ses patients en sa qualité de psychanalyste acariâtre, qui, troublée par l’exubérance de son voisin, va faire voler en éclat le calme apparent de l’immeuble. Toutes leurs dissonances créent un heureux bordel, et leurs disputes qui crescendo prennent de la hauteur tant dans la verve que dans le niveau sonore, ne manquent pas de faire rire le public. Leurs coups de sangs sont si violents que leurs cœurs sont rongés, leurs vies personnelles respectives étant désertées de tout amour. Mais pour y remédier ils vont prendre la même initiative farfelue : celle de s’inscrire sur un site de rencontres. La pièce prend alors un tournant comique de bas étage, comme pour souligner le ridicule de ce nouveau mode de drague sans charme, à grand renfort de statistiques sans fondements sur la compatibilité amoureuse et autres risibles pseudonymes qui défilent en arrière-plan, mettant encore une fois à l’honneur la créativité de la mise en scène signée Bernard Murat.
La suite on pense la connaître et pourtant rien ne va se passer comme prévu, mais pour le savoir il va falloir se déplacer pour l’entendre de la bouche de ces deux grands acteurs, qui à eux seuls vous tiendront en haleine jusqu’au dénouement, dans les rires et la mièvrerie entendue d’une romance d’aujourd’hui mais qui n’est pas pour déplaire, bien au contraire !
Actuellement au théâtre Edouard VII