Et le gagnant est...
Mercredi 2 novembre 2016. Veille de la grande messe, veille de la remise du prix Goncourt.
Chanson Douce, aux éditions Gallimard
Les nouvelles vont vite
Et le gagnant est...
Mercredi 2 novembre 2016. Veille de la grande messe, veille de la remise du prix Goncourt.
Substance acide
Je devais avoir seize, dix-sept ans tout au plus, lorsque je me suis plongée pour la première fois dans la narration acide de Virginie Despentes. Mordre au Travers, un recueil de nouvelles m’avait particulièrement bousculée et j’avoue ne pas être sortie indemne du visionnage de son film « Baise-moi ». À cette même époque j’ai également découvert Michel Houellebecq, ou encore Guillaume Dustan. Ces trois auteurs m’ont (trans-)formée au fur et à mesure que j’entrais dans ma vie de femme et dans leurs romans respectifs.
Treize ans plus tard, voilà que les parcours littéraires de Despentes et Houellebecq viennent à nouveau se croiser, puisqu’ils occupent tous deux l’actualité en cette rentrée littéraire d’hiver. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le temps n’a rien enlevé à sa verve féroce. Car au-delà d’une peinture sociale parfaitement réaliste, à l’inverse de la reproduction bien léchée que nous servent certains de ses contemporains, c’est bien une fresque à ciel ouvert que Virginie Despentes nous peint. Quelque chose de l’ordre du tag, sans loi et volontairement contestataire. Une énergie sans pareille pour cracher sur la société actuelle à grand renfort de bons mots disséminés dans les esprits de ses héros de fiction. Sur son cheval de bataille, le personnage éponyme, Vernon Subutex, disquaire charismatique fauché par le vide engendré par la dématérialisation de la musique. C’est l’histoire de sa déchéance qui s’ensuit, de son combat quotidien pour sa survie. Par un habile passage de témoin à chaque chapitre, Vernon trouvera refuge chez les uns tandis que d’autres partiront à sa recherche pour une sombre histoire de testament laissé en sa possession par une star du rock qui l’avait à la bonne. On voyage à travers Paris, dans ses beaux quartiers, où la drogue et les mannequins sur le retour forment un cocktail explosif ; en banlieue, où l’on côtoie un mari violent ; dans des appartements sans âme, où se lacent des corps perdus qui ne savent pas bien ce qu’ils sont. Tant de questions sans issue qui feront échouer notre homme sur les bancs publics, lassé de toutes ces rencontres égocentrées. Mais dès lors, est-ce vraiment la fin de toute vie sociale ? Le chemin s’arrête t-il au moment précis où l’on ne possède plus rien ? Non, de toute évidence puisque les tribulations de Vernon se poursuivront encore sur deux tomes à paraître cette année. Parce que Virginie Despentes n’en finira jamais de surprendre, c’est sous cette forme étirée qu’elle prend un plaisir non dissimulé à nous conter notre société, la plume bien encrée dans le noir qui la compose.
À lire sans modération,
Vernon Subutex, chez Grasset.
Et tant d'autres choses...
Je rabats la quatrième de couverture sur les 366 pages qui composent le roman d’Eric Reinhardt et je suis prise d’une sensation toute particulière. Celle, précise, de m’être retrouvée chahutée par l’histoire qu’il renferme. Il est rare d’être à ce point bouleversé par une histoire à première vue ordinaire…
Bénédicte Ombredanne est mère de famille d’une quarantaine d’années, professeur de français dans un collège près de Metz, une femme comme on peut tous en côtoyer en définitive. Alors qu’il nous en fait la description, c’est sur la forme que l’auteur surprend puisqu'il va prendre lui-même place dans son roman, en y incarnant son propre personnage, lui permettant d’être au plus proche d’elle. Il nous fera ainsi le témoignage de leur rencontre plus vraie que littéraire, il nous parlera des lettres qu’elle lui écrit en temps qu’admiratrice, et on assistera alors à leur première rencontre à Paris... À l’aide d’images aussi détaillées que variées, nous pouvons à loisir observer cette femme se raconter puis prendre son indépendance, de plus en plus seule au fur et à mesure que sa propre histoire est en train de s’écrire. C’est en lisière de forêt que va se nicher le point de départ de la narration, puisqu’il va s’y consommer une passion aussi violente qu’éphémère. Un adultère, qu’elle vivra comme une revendication : celle de sa féminité. Elle paiera cher cet affront de retour à la maison, où son mari l’attend avec ses enfants. Tous trois ne la ménageront pas pour obtenir d’elle des aveux, qui cèderont bien vite la place à une longue et sinueuse descente aux enfers, faite de mensonges et d’humiliations pour Bénédicte. Par la magie de la narration, associée à une qualité d’écriture indéniable, Eric Reinhardt parvient à nous installer aux premières loges de ce spectacle morbide, celui du quotidien de cette femme, entaché chaque matin un peu plus par le harcèlement de son propre mari. Ceux qu’on a coutume d’appeler désormais cliniquement des pervers narcissiques, se retrouvent personnifiés en un être de fiction.
À combien s’élève le coût de la vie quand on la partage avec ce genre d’individu psychopathe?
Que se passe t-il réellement au cœur du pavillon alors qu’au dehors, tout le monde l’ignore ?
Pour pénétrer dans l’intimité de Bénédicte, c’est dans les pages d’Eric Reinhardt qu’il faut entrer …
L'Amour et les Forêts, aux éditions Gallimard.
(et j'y resterai)
Pour continuer dans la veine des livres non lus qui n’en peuvent plus d’attendre que je daigne y poser les yeux, se trouvaient deux livres de Nicolas Fargues. Ce jeune premier de la littérature dite « d'autofiction » m’a toujours intriguée. Une jolie carrière d'écrivain doublé d'une gueule d’ange (mannequin à ses heures perdues), ça éveille la curiosité, pour ne pas dire la suspicion. Voilà l’à priori que je traînais jusqu’à lors.
Mais venons-en plutôt aux romans à proprement parlé :
Beau Rôle tout d’abord, se résume en une critique acerbe du cinéma français par un personnage antipathique qui, bien qu’il pose quelques questions intéressantes, notamment sur sa condition d’acteur noir qui peine à trouver un rôle dans la grande famille du septième art hexagonal, finit par nous lasser avant la moitié du livre. Je l’ai pourtant terminé, mais ne vous le recommanderai pas, à moins que vous ne preniez un malin plaisir à fustiger cet art visuel qui dans notre pays n'en a en effet souvent que le nom.
Passons donc directement au second titre, J’étais derrière toi, véritable succès de librairie dès sa sortie en 2007. Aux thèmes plus communs : une rupture, les déchirements qui en découlent et une passion sous-jacente ; une bonne base en somme.
Dans ce roman, le personnage masculin y est incroyablement attachant, on observe ses états d’âmes envers son épouse faire face à une passion fulgurante qui naît au cœur de l’histoire et, comme lui, on ne sait que penser de cette situation ubuesque. Mais il faut avouer que les descriptions des émotions sont prenantes et les digressions (décidément récurrentes chez l’auteur) gâchent moins le déroulé de l'histoire dans ce titre que dans le précédent. Néanmoins je ne peux exclure le gros point négatif qui se situe là encore dans la syntaxe. En effet, pour plus de complicité avec son lectorat j’imagine, l’auteur a cru bon de faire grand nombre d’apartés dans lesquels son personnage nous alpague en nous tutoyant, tentant désespérément d’obtenir notre consentement, mais bien entendu sans résultat et sans intérêt de surcroît.
Un roman qui en définitive donc parle d’une histoire au combien touchante, vécue d’un point de vue masculin, donc d’un intérêt certain, mais qui se retrouve diminuée par des lacunes d’écritures, qui viennent obstruer sa lecture.
Encore un auteur français plébiscité du grand public qui ne remporte pas mon adhésion sur le style bien que pas dénué d’intérêt mais résultant sur un avis mitigé.
J'étais derrière toi. De Nicolas Fargues, en folio.
(se dirigent droit au coeur)
Un roman d’Olivier Adam, ça vous claque au visage tel le vent de Bretagne qu’il décrit si justement , ça vous remue le cœur comme on subit le déchaînement des éléments tout au long de son histoire, pour finalement vous laisser ce goût satisfaisant des livres inoubliables.
Car si l’est un auteur français contemporain capable de tels bouleversements, c’est indéniablement lui. Souvenez-vous de ce film si poignant « Je vais bien ne t’en fais pas », une adaptation de son premier roman (paru en 2000) par Philippe Lioret, une petite merveille ou apparaît déjà cette mélancolie unique que l’on retrouve dans ce sixième roman. Il y est question de solitude, celle d’un père qui se retrouve seul avec ses deux jeunes enfants suite à la disparition soudaine et inexpliquée de sa femme. Cette épreuve le pousse à regagner sa terre natale, à se laisser porter par la vivacité de sa petite fille contre vents et marées qui déferlent alors sur lui. Tout est à reconstruire mais avec cet espoir fragile du retour de la mère de ses enfants qui nous tient en haleine tout au long du livre.
Il traîne dans cette narration une langueur d’une beauté rare, ponctuée de descriptions si précises que le lecteur ne peut qu’être happé par le combat de ce héros moderne et de sa petite famille.
Lors de la lecture, je n’ai pu m’empêcher de m’imaginer l’auteur lui-même dans le rôle de son personnage principal. En effet, je l’ai rencontré dans une petite librairie lyonnaise lors de la sortie de ce titre en 2009 et je dois avouer qu’Olivier Adam est dans la vie le même homme que celui décrit, un type timide et brillant à l’allure d’ours mal léché. Ce qui achève de me le rendre au combien sympathique en plus d’être une voix incontournable de sa génération.
Auteur à lire sans retenue donc.
Des vents contraires. D ’Olivier Adam,
aux éditions de l’Olivier, disponible en poche.
(c'est lui qui le dit)
Lui, dénommé Patrick Lapeyre, demeura un auteur pour moi inconnu jusqu’à sa récompense en 2010 (le prix Fémina ndlr). Et pourtant, ce n’est qu’aujourd’hui que je termine ce roman. Et je ne peux résiter à l'envie de vous en compter les mérites ici...
Je ne sais trop pourquoi, mais je suis toujours étrangement attirée par les même ressorts en littérature, à savoir des histoires de sentiments mis à mal. Des personnages centrés sur leurs émotions, dont les tracas qui occupent généralement nos quotidiens sont amputées. Disons plus justement que comme un gage d’authenticité, il décident de vivre d’un métier vaguement artistique qui n’obstrue qu’un temps infime de leurs journées et leur permet de laisser libre court à leur précoupations amoureuses. On devine rapidement que cet acharnement déraisonné, s’il ne trouve plus l’écho escompté, leur fera alors vivre une introspection malheureuse (dû au manque de l'autre comme de moyens) mais brillement narrée. Car l’équilibre des relations au sein de ce trio amoureux est précaire, et la passion qu’ils entretiennent, parfois maladroitement, les poussera dans leurs derniers retranchements. Le tout dans un style malheureusement parfois pompeux et avec une construction en chapitres dédiés sans logique tantôt à l’un, tantôt à un autre des personnages, qui hélas perd régulièrement son lecteur.
Mais ce livre mérite d’être lu jusqu’à sa dernière page, on en ressort soit même un peu tourmenté, mais avec la satisfaction d’avoir secondé ses protagonistes dans un périple qui valait le coup d’être vécu, au-delà des pertes engendrées.
La vie est brève et le désir sans fin. De Patrick Lapeyre, en folio.